Peindre pour se souvenir

La vie de deux Ivryens victimes de la rafle du Vel d'Hiv racontée en peinture par des enfants

Peindre pour se souvenir

La vie de deux Ivryens victimes de la rafle du Vel d'Hiv racontée en peinture par des enfants

Peindre pour ne pas oublier

Les 16 et 17 juillet 1942, sur demande de l’Allemagne nazie, la police française rafle près de 13 000 Juifs étrangers à Paris et en banlieue parisienne au cours de la rafle dite du Vélodrome d’Hiver (Vel d’Hiv). Les policiers du commissariat d’Ivry-sur-Seine dont le ressort comprend aussi Vitry-sur-Seine arrêtent au moins 37 habitants des deux communes. Philippe Potchengueil et Bernard Muljar, deux jeunes Ivryens juifs nés respectivement en 1929 et 1930 sont raflés avec leurs parents. D’abord internés dans des camps d’internement français, tous deux sont déportés en août 1942 par les autorités allemandes puis assassinés au camp d’extermination d’Auschwitz.

80 ans après les faits et à travers le regard d’enfants d’aujourd’hui, les peintures réalisées par les élèves de la classe de CE2 B de l’école Joliot-Curie A d’Ivry-sur-Seine rendent hommage à Bernard et Philippe en restituant des épisodes de leurs vies brusquement interrompues. Pour mener à bien ce projet, les élèves ont été accompagnés par Delphine Kaniewski, leur enseignante, Caroline Forest, artiste et professeure aux ateliers d’arts plastiques de la galerie Fernand Léger de la ville d’Ivry-sur-Seine ainsi que par des bibliothécaires des Médiathèques et un archiviste du service Archives-Patrimoine de la ville d’Ivry-sur-Seine.

Présentée du 22 janvier au 19 février 2022 à la médiathèque du Centre-ville, l’exposition a été réalisée dans le cadre de la Semaine de la Mémoire du génocide des Juifs et des Tziganes, pour la prévention des crimes contre l’humanité et la lutte contre le racisme et l’intolérance.

Bernard Muljar et Philippe Potchengueil

Les familles de Bernard Muljar et Philippe Potchengueil sont originaires d’Europe de l’Est. Joseph et Malka Muljar sont respectivement nés en 1894 et 1896 à Białystok (Russie jusqu’en 1918, Pologne depuis 1920). Immigrés en France en 1922, ils s’installent au 16 rue de Paris (actuelle avenue Maurice Thorez) à Ivry où ils élèvent leurs deux enfants, Henri (né en 1922) et Bernard (né en 1929). Joseph Muljar exerce le métier de tailleur à domicile pour un revendeur.

Dans leur immeuble, les Muljar sont voisins de la famille Potchengueil avec laquelle ils se lient d’amitié. Joseph, né à Brest-Litovsk en 1897 (Russie jusqu’en 1915, Biélorussie depuis 1944), et Faïga Potchengueil, née en 1900 à Łowicz (Pologne), ont émigré en France où naissent leurs trois enfants : Hélène en 1922, Berthe en 1925 et Philippe en 1930. Joseph exerce le métier de tailleur dans sa boutique de la rue de Paris où il confectionne des habits sur mesure, répare et nettoie les vêtements.

Philippe Potchengueil et Bernard Muljar passent probablement beaucoup de temps ensemble. Ils suivent leur scolarité à l’école élémentaire du Petit-Ivry où ils décrochent le certificat d’études en 1941 et partent en colonie de vacances au printemps de la même année.

Des persécutions antisémites au génocide des Juifs

Dès le début de l’Occupation, des lois antisémites sont mises en place par le gouvernement de Vichy et les autorités allemandes. Le 3 octobre 1940, le régime de Vichy adopte le décret-loi « portant statut des Juifs » (aussi appelé premier statut des Juifs) qui définit une prétendue race juive et exclut les Juifs de certaines professions. Dès lors, les mesures antisémites se multiplient en France. Philippe et Bernard sont notamment concernés par l’ordonnance allemande du 29 mai 1942 qui, en zone occupée, rend obligatoire le port de l’étoile jaune dans l’espace public pour tous les Juifs de plus de six ans.

Le 16 juillet 1942, le destin des familles Muljar et Potchengueil bascule brutalement. Dans le cadre de la rafle du Vel d’Hiv, Bernard, Philippe et leurs parents sont arrêtés par la police française puis internés au Vélodrome d’Hiver avant d’être transférés aux camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers. Henri Muljar et Berthe Potchengueil échappent à la rafle.

Bernard Muljar est déporté le 7 août 1942 au départ de Beaune-la-Rolande vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Philippe Potchengueil est déporté le 24 août 1942 au départ du camp de Drancy vers le camp d’extermination d’Auschwitz.

Tous deux sont assassinés à Auschwitz, probablement dans les jours ou semaines suivant leur arrivée. Leurs parents subissent le même sort durant l’été 1942.

Une exposition de dessin

Les dessins des élèves de CE2 B de l'école élémentaire Joliot-Curie A racontent en images des évènements précis de l'histoire de Bernard et Philippe réinterprétés avec le regard d'enfants d'aujourd'hui. 

Ils ont été guidés dans leur création par Caroline Forest, artiste et professeure aux ateliers d'arts-plastiques de la galerie Fernand Léger d'Ivry-sur-Seine.

 

La peur, dessin d'Adam Brighet.

Philippe, Bernard et le frère de Bernard, dessin d'Enzo Huang.

Les voisins (Bernard et Philippe), dessin de Lina Boudefoua.

Sortie d'école, dessin de Yasmine Kassama.

Philippe, l'enfant de la guerre, dessin d'Olivia Pinard.

La rafle du Vel' d'Hiv', dessin de Julien Carvalho Proenca.

Les adieux de Bernard et Philippe, dessin de Maëlys Teissier.

Le portrait de Philippe et Bernard, dessin de Maxence Weill-Castanie.

Portrait de Philippe et Bernard, dessin d'Abderrahmane Tribouillois.

Bernard et Philippe se cachent, dessin d'Amen Allah Rachdi.

L'emprisonnement de Bernard et Philippe, dessin de Moussa Touré.

La rafle, dessin d'Ulysse Marchon.

Bernard et Philippe en colonie, dessin de Serine Bouchibi.

Philippe, son père et sa mère, dessin d'Anna Belaiboud.

L'immeuble de Philippe et Bernard, dessin de Balkis Hadji.

Philippe et Bernard partent à l'école, dessin de Gabriella Yoka-Boyika.

Bernard et Philippe attendent la police, dessin d'Hada Baradji.

L'arrestation de Bernard, dessin de Julien Carvalho Proenca.

Esquisse : l'arrestation, dessin de Maëlys Teissier.

La tristesse, dessin de Balkis Hadji.

Philippe s'est fait arrêter par la police, dessin d'Hada Bardadji.

Bernard, dessin de Yasmine Kassama. 

La fin approche, dessin de Maxence Weill Castanie.

La classe noire, dessin d'Olivia Pinard.

Un projet pédagogique

Delphine Kaniewski, enseignante de la classe de CE2 B de l'école Joliot-Curie A, présente en quelques mots l'intérêt pédagogique de ce projet pour ses élèves.

La classe des CE2 B s’est engagée, une année encore, dans un projet riche et intéressant pour les élèves puisqu’il leur a permis de travailler diverses compétences du cycle 2 (oral, histoire, arts visuels, lecture/compréhension…) en ayant pour motivation de présenter le fruit de leur travail, sous la forme d’une exposition à la médiathèque et d'une exposition virtuelle, non seulement à leur famille mais également au public.
Enfin, ils ont eu la chance de bénéficier d’interventions variées et spécialisées (une professeure d’arts plastiques, un archiviste et des bibliothécaires spécialisés en histoire).

Delphine Kaniewski

Peindre pour se souvenir : la découverte de l’histoire de Bernard et Philippe (1/2)

Guidés par un archiviste, les élèves ont d’abord reconstitué l’histoire de Philippe et Bernard grâce à l’analyse des documents d’archives qui conservent la trace de leur existence : photographies familiales, témoignage d’Henri Muljar et documents administratifs. En analysant des cartes postales anciennes, ils ont découvert le quartier du Petit-Ivry dans lequel Bernard et Philippe ont vécu durant les années 1930-1940, notamment la rue de Paris avec ces immeubles d’habitations hauts de quelques étages et ses nombreux petits commerces et artisans. Les photographies familiales et le témoignage d’Henri Muljar (frère de Bernard ayant échappé à la rafle) ont offert aux élèves une plongée plus intime dans l’histoire des familles Muljar et Potchengueil et dans leurs quotidiens avant et après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, rendant particulièrement visible la progression des mesures antisémites.

L’analyse de différents types de documents d’archives a permis aux élèves de mieux comprendre la vie de Bernard et Philippe en adoptant des angles d’approche différents : témoignage personnel et photographies familiales qui sont de l’ordre de l’intime, cartes postales et plans qui permettent de reconstituer un contexte ou encore documents administratifs qui présentent un point de vue institutionnel. Cette diversité typologique est une grande richesse pour reconstituer des histoires personnelles et permet de sensibiliser les élèves aux méthodes d’analyse des sources historiques.

Aurélien Coutier, archiviste aux Archives municipales d’Ivry-sur-Seine.

Peindre pour se souvenir : la découverte de l’histoire de Bernard et Philippe (2/2)

Partant de ces deux histoires personnelles, ils ont poursuivi leur apprentissage de l’histoire des persécutions antisémites et du génocide des Juifs en se rendant à la Médiathèque du Centre-ville. Ces étapes de travail ont apporté aux élèves les connaissances nécessaires à la poursuite du projet.

À la suite d’une première visite d’Aurélien, nous avons sélectionné pour la classe des documents autour de la déportation, de manière à présenter les différents supports (ouvrages, DVD) et modes de narration (fiction, documentaire, roman, bande dessinée etc…) pouvant traiter d’un même sujet.
Nous avons également présenté et laissé à la classe deux livres de Ceija Stojka, l’un de peinture (Ceija Stojka : une artiste rom dans le siècle), l’autre de poésie (Auschwitz est mon manteau : et autres chants tsiganes), en lien avec le travail que les enfants allaient effectuer avec Caroline Forest. »

Joël Aguemmoun et Stéphanie Charpentier, bibliothécaires dans les Médiathèques municipales d'Ivry-sur-Seine.

Peindre pour se souvenir : de l’histoire à la peinture

Caroline Forest, artiste et professeure aux ateliers d’arts plastiques de la galerie Fernand Léger, raconte les étapes de réalisation des peintures (peinture vinylique, sur papier aquarelle format A3, 300g/m2) :

Séance 1 : Nous avons tenté d’imaginer la vie de Bernard et Philippe à Ivry, la vie du quotidien, mais aussi les obligations, interdictions et leurs arrestations en s’appuyant sur des éléments visuels.
Après avoir vu comment mélanger les couleurs dans la palette pour fabriquer du vert, du violet, du brun, chacun a choisi ce qu’il souhaitait représenter en réalisant des esquisses peintes.

Séance 2 : Nous avons commencé par dessiner avec de la peinture rouge vermillon (pour l’aspect lumineux et expressif de la couleur), puis peint les surfaces en ajoutant du jaune et du bleu dans la palette. Nous avons vu comment diluer la peinture pour obtenir des transparences ou gratter dans la matière avec le manche du pinceau pour redessiner dans la couleur ou créer des textures.

Séance 3 : Des reproductions des œuvres de Ceija Stojka (écrivaine et artiste peintre autrichienne et rom, rescapée du génocide rom) ont été montrées. Un travail plus approfondi de mélanges des couleurs et de superpositions des couches de peinture a permis de créer des images plus expressives.

Caroline Forest.

Les actrices et acteurs du projet

Les élèves de la classe de CE2B de l’école élémentaire Joliot-Curie A d’Ivry-sur-Seine : Hada Baradji, Anna Belaiboud, Serine Bouchibi, Lina Boudefoua, Adam Brighet, Julien Carvalho Proenca, Balkis Hadji, Enzo Huang, Yasmine Kassama, Ulysse Marchon, Olivia Pinard, Amen Allah Rachdi, Maëlys Teissier, Moussa Touré, Abderrahmane Tribouillois, Maxence Weill Castanie, Gabriella Yoka-Boyika.

Conception et réalisation du projet :
Delphine Kaniewski, professeure des écoles, enseignante de la classe de CE2B, école élémentaire Joliot-Curie A, Ivry-sur-Seine.
Caroline Forest, artiste et professeure aux ateliers d’arts plastiques de la galerie Fernand Léger de la ville d’Ivry-sur-Seine.
Les Médiathèques et le service Archives-Patrimoine de la ville d’Ivry-sur-Seine.

Partager sur